par Claire Grégoire-Soto

Date : 28-03-2022

La loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, dite loi santé au travail, annonçait notamment l’ambition de renforcer la prévention en matière de santé au travail. Cette loi est l’aboutissement d’un long travail des partenaires sociaux pour revitaliser la dynamique de prévention initiée il y a plus de trente ans sous l’impulsion de l’Union Européenne.

La directive cadre européenne du 12 juin 1989, transcrite dans le droit français par la loi du 31 décembre 1991 marqua une véritable révolution copernicienne au droit français de l’hygiène et de la sécurité en instaurant une vision globale et « systémique » de la santé au travail, et en plaçant la priorité sur la prévention et non plus sur le seul respect des obligations légales. Des principes de prévention furent clairement définis et les entreprises invitées à s’inscrire dans un processus d’amélioration continue. La démarche de prévention émergea ; le décret du 5 novembre 2001 complété par la circulaire DRT N°6 du 18 avril 2002 vinrent en préciser les contours opérationnels : le DUERP était né.

Bien qu’essentiel à la démarche d’amélioration continu, il faut convenir que le DUER n’avait pas réussi à trouver la place centrale que les textes lui promettaient. Qu’il soit administré par des services HSE, complété rapidement puis oublié pour satisfaire un éventuel Inspecteur du Travail ou des partenaires sociaux, ou carrément inexistant, ce Document peinait à s’imposer comme le centre névralgique de la démarche de prévention.

Suite au rapport de 2018 de Mme Parmentier-Lecocq, le Premier Ministre présentait un calendrier pour réformer la santé au travail en proposant une phase de concertation puis de négociation et enfin un projet de loi susceptible d’être déposé au premier semestre 2019. La négociation aboutira à un premier échec en juillet 2019, elle s’ouvre à nouveau en juin 2020 et aboutit le 9 décembre 2020 : « ANI pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail ». Les travaux parlementaires pour transcrire cet ANI se concluent par la loi « Santé au travail » d’août 2021. Les dispositions légales entreront en vigueur le 31 mars 2022 et leur mise en œuvre nécessitera, pour la plupart, la publication de décrets d’application.

 

Le renforcement de l’évaluation des risques

Alors que le DUERP était par le passé défini par des dispositions règlementaires dont la cohérence était parfois difficile à appréhender sans la lecture de la circulaire DRT n°6 du 18 avril 2002, il est désormais intégré clairement à la partie législative qui décrit ce dernier comme le répertoire de l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions.

Il faut noter un élargissement du champ de l’évaluation des risques qui intégrait déjà le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et la définition des postes de travail. En effet, à partir du 31 mars 2022, le champ est complété par l’évaluation des risques liés à l’organisation du travail.

Le législateur, dans la continuité de la jurisprudence, consacre là l’obligation pour l’employeur d’évaluer les risques liés aux nouveaux modes d’organisation du travail, comme le télétravail, ainsi que l’ensemble des risques psychosociaux. 

Le DUERP continue de devoir être mis en place dans toutes les entreprises, il est actualisé annuellement et à chaque fois qu’un nouveau risque apparaît. A partir du 31 mars 2022 cependant, les entreprises de moins de onze salariés seront exemptées de  l’obligation d’actualisation annuelle. Pour les autres, une mise à jour du DUERP devra en outre être réalisée lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque sera portée à la connaissance de l’employeur.

 

L’implication des partenaires sociaux

Par ailleurs, la loi renforce la nécessité de « croiser les regards » pour établir un diagnostic partagé des risques. Déjà présente dans la circulaire DRT n°6 du 18 avril 2002 qui préconisait la constitution de groupes d’évaluation pluridisciplinaires, participatifs et favorisant le dialogue social, cette méthodologie est inscrite désormais dans la loi qui précise les contributeurs de l’évaluation avec notamment le comité social et économique et sa commission santé, sécurité et conditions de travail. La nécessité d’impliquer les représentants du personnel est consacrée par la nouvelle obligation de consulter le CSE sur la mise en place et l’actualisation du DUERP.

L’articulation de l’évaluation des risques avec les plans d’actions de prévention

Les résultats de l’évaluation des risques et de sa retranscription dans le DUERP débouchent sur des obligations de prévention dont la formalisation dépend de l’effectif de l’entreprise.

Pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à cinquante salariés, l’employeur a l’obligation de définir un plan d’actions de prévention des risques et de protection des salariés. La liste de ces actions est consignée dans le DUERP et ses mises à jour.

Pour les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à cinquante salariés, l’employeur doit établir un Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail (PAPRIPACT). La loi du 2 août 2021 en précise le contenu :

  • La liste détaillée des mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ;
  • pour chaque mesure : ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût ;
  • L’identification les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ;
  • Le calendrier de mise en œuvre.

Le programme annuel de prévention est transmis au CSE dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Obligation de mise à disposition, de conservation et de dépôt

La loi du 2 août 2021 renforce la nécessité d’une réelle traçabilité de l’exposition des travailleurs aux risques professionnels.

Afin de mieux garantir cette traçabilité, le DUERP, dans ses versions successives, est conservé pendant 40 ans par l’employeur et tenu à la disposition des travailleurs, des anciens travailleurs « pour les périodes durant lesquelles ils ont travaillé dans l’entreprise », ainsi que de toute personne ou instance pouvant justifier d’un intérêt à y avoir accès comme par exemple les Services de Santé et de Prévention au Travail.

Si cette durée très longue se comprend dans une perspective de prise en compte de l’usure professionnelle des travailleurs, elle demeure très lourde pour les employeurs. Pour faciliter cette gestion, le législateur prévoit que le DUERP et ses mises à jour feront l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique déployé et administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. Un décret à venir doit préciser les modalités de cette dématérialisation.

L’obligation de dépôt dématérialisé du DUERP sera applicable à compter du 1er juillet 2023, pour les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à cent cinquante salariés et au plus tard à compter du 1er juillet 2024 pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à cent cinquante salariés.

 

Moins une réforme de l’évaluation des risques professionnels qu’un retour aux sources, la loi « Santé au travail » nous invite à revenir aux principes fondateurs de la démarche de prévention. Pour les entreprises qui sauront y voir une opportunité, elle pourra réinsuffler une dynamique nouvelle au déploiement d’une culture partagée de la prévention.