par Cyprien Hachard

Date : 26-10-2021

Entre 1990 et 2018, les principales sources d’émission de gaz à effet de serre en France ont été le secteur industriel, les transports, puis le secteur tertiaire et le résidentiel. La consommation d’énergie en 2018 dans notre pays a dégagée à elle seule 450 Millions de tonnes de CO2. Or les entreprises figurent parmi les plus importants consommateurs d’énergie.

Les partenaires sociaux disposent aujourd’hui de plus en plus de moyens pour faire de la question de la protection de l’environnement un sujet du dialogue social, dans un contexte sociétal poussant vers la transition écologique. Encore faut-il les connaître et les utiliser.

 

Des moyens juridiques

Le code du travail prévoit aujourd’hui l’existence d’un droit d’alerte pour atteinte à l’environnement (article L4133-1 et suivants), qui permet à un salarié et/ou à un représentant du personnel d’alerter par écrit l’employeur, s’il estime que l’activité de l’entreprise fait peser un risque grave sur la santé ou l’environnement. Le CSE doit en être informé, et l’employeur doit indiquer les suites qu’il compte donner à cette alerte.

En matière de négociation, les organisations syndicales disposent depuis 2019 de leviers forts à travers les négociations annuelles obligatoires, avec la possibilité d’intégrer aux accords d’épargne salariale le critère de financement responsable, avec la possibilité de négocier, dans le cadre des accords de GPEC, sur les besoins de formation et d’adaptation des compétences en matière environnemental, et enfin avec l’ouverture obligatoire de négociations sur le thème de la mobilité des salariés dans les entreprises d’au moins 50 salariés à travers la négociation des accords QVT (Article 82 Loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019).

D’un point de vue plus général, le CSE a également, depuis 2017, un avis à donner concernant la mise en place obligatoire d’un plan de vigilance sur les impacts environnementaux de l’entreprise, intégrant des évaluations, des mesures de prévention, des procédures de remontées et de traitement des signalements. Mais cette disposition est réservée aux entreprises de plus de 5000 salariés.

 

 Le levier de la mobilité en entreprise

La mobilité est un des leviers de la question environnementale en entreprise qui se décline au quotidien :

  • elle comporte un enjeu financier, car se déplacer coûte cher,
  • elle comporte un enjeu sanitaire, car le mode de déplacement adopté peut favoriser l’activité physique et la qualité de vie (avec la diminution des embouteillages), ou exposer les salariés à des risques spécifiques accrus, la crise sanitaire a d’ailleurs mis en relief l’articulation entre travail présentiel et sécurité sanitaire,
  • elle comporte un enjeu environnemental, car le mode de déplacement adopté peut favoriser la qualité de l’air avec la diminution du CO2 et des particules fines.

Depuis la loi d’orientation des mobilités de 2019, les accords de QVT peuvent inclure des clauses sur la mobilité du personnel, permettant de cibler les déplacements obligatoires et d’inciter à des modes de déplacements moins impactant que la voiture : remboursement partiel des abonnements transport, forfait mobilité de 400 euros exonérés de charges sociales, primes d’achat de vélo… Tout en participant activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’entreprise peut ainsi chercher à valoriser sa marque employeur en renvoyant une image plus responsable.

A défaut d’accord, les entreprises ont l’obligation de mettre en place un plan de mobilité intégrant une évaluation de l’offre de transport existante et projetée, une analyse des déplacements du personnel, un programme d’actions et des mesures de soutien aux déplacements domicile-travail (le forfait mobilités, le co-voiturage, etc.).

 

La montée en puissance récente dans le dialogue social des thématiques environnementales

La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, a souhaité faire avancer encore un peu plus la préservation de l’environnement à travers le dialogue social. 

En effet, sur le plan de la négociation collective, les négociations des accords Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétence (GPEC) et Gestion de l’Emploi et des Parcours Professionnels (GEPP) devront désormais être menées dans l’optique de « répondre aux enjeux de la transition écologique ». 

Sur le plan des attributions consultatives du CSE, la loi ne vient pas créer une nouvelle obligation de consultation à part entière, mais le CSE doit intégrer, dans les avis qu’il rend, les conséquences environnementales des décisions de l’employeur. Pour se faire il peut notamment s’appuyer sur l’ancienne BDES dorénavant appelée Base de Données Economiques, Sociales et Environnementales (BDESE), qui doit obligatoirement comprendre les impacts de l’activité de l’entreprise sur l’environnement.

Par ailleurs, dans le cadre des consultations récurrentes du CSE, la mission de l’expert-comptable qui intervient pour le compte du CSE est désormais étendue jusqu’aux questions environnementales.

Enfin, à compter de cette loi, la formation économique des membres du CSE peut également porter sur les impacts environnementaux de l’activité de l’entreprise. Le congé sur lequel s’impute ce temps de formation a d’ailleurs vu son intitulé modifié pour celui de « congé de formation économique, sociale, environnementale et syndicale ».

 

Les évolutions législatives de 2019 à 2021 renforcent ainsi de plus en plus le rôle des instances représentatives du personnel en matière de transition écologique, et tendent à le généraliser quel que soit l’effectif de l’entreprise. L’objectif est d’accélérer véritablement le processus de transition au sein du monde du travail, en en faisant un objet de droit.

Pour soutenir, développer et répandre les innovations environnementales portées par des entreprises pionnières en la matière, notamment via les politiques de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), le législateur amorce un mouvement de généralisation. Il fait le pari que les entreprises qui saisiront ces nouvelles règles comme des opportunités pour renforcer la qualité de leur dialogue social y gagneront… Reste à observer les réactions que ces perspectives vont susciter dans le monde du dialogue social.

 

Les orientations historiques du mouvement syndical en France ont toujours comporté un « projet de société ». Celui-ci a pu prendre la forme d’une volonté de « faire payer le patron » en revendiquant une réduction du temps de travail et des augmentations des salaires. Mais les ambitions transformatrices des syndicats les ont également conduit à revendiquer sur d’autres thèmes comme la conciliation vie professionnelle/vie personnelle, l’égalité femmes/hommes ou la lutte contre les discriminations. Depuis quelques années, la question de la RSE et de l’environnement a rejoint le catalogue des questions débattues dans les congrès syndicaux. Jusqu’à présent, leur traduction en termes de revendications et de négociations dans les entreprises était restée limitée. Elle comporte aujourd’hui de nouveaux objets de droit, placés entre les mains d’une nouvelle génération de représentants du personnel, porteur ou non d’une étiquette syndicale.

Les préoccupations des entreprises sur ce même thème sont extrêmement contrastées : une minorité agissante parmi elles met en avant ses ambitions environnementales, le groupe Danone ayant même fait de ce thème une de ses priorités en tant qu’entreprise « à mission ». Pour une majorité d’entreprise, en revanche, la loi est normative et elle finit par encadrer des pratiques qui ne s’imposeraient pas sans elle. La loi de 2019 n’ayant pas vraiment produit de résultats, celle de 2021 veut sans doute faire plus pour inciter les dirigeants à inscrire la transition écologique dans leurs priorités stratégiques. 

Toutefois, l’inflation des règles sociales finit toujours par les rendre inopérantes. Il y avait avant la Loi Travail pas moins de 12 obligations de négocier chaque année, qui ont été concentrées en trois blocs de négociation obligatoire. L’activité législative en faveur de l’environnement est en train de reproduire ce travers en multipliant les obligations environnementales qui pèsent sur l’entreprise. Reste à savoir si les instances dirigeantes et les représentants du personnel parviendront à se saisir efficacement de ce cadre législatif ou s’il deviendra une énième contrainte légale subie au lieu d’être mise à profit.