Par Clotilde Duverger

Contexte d’une mission

Nous avons été sollicités par la direction d’une usine opérant dans le domaine agro-alimentaire. à un moment où une équipe au sein de la logistique traverse une situation très difficile. En effet, plusieurs membres de cette équipe sont profondément perturbé dans leur situation de travail comportements en raison de comportement désajustés voire toxiques subis entre collègues. A plusieurs reprises des collaborateurs se sont plaints auprès du Service de santé au travail et des ressources humaines.

Lors de notre rencontre avec l’équipe de direction[1],  la situation est décrite de la façon suivante : «on a dans ce service des personnes, souvent les mêmes mais pas toujours,  qui vont distiller des remarques sur les autres collaborateurs souvent de façon indirecte. Mais cela revient toujours aux oreilles des uns et des autres ; il y aussi des critiques qui vont créer un climat très défavorable pour la personne [visée]. Celle-ci va se mettre elle-même en retrait, se sentir mise de côté et ça va la faire souffrir. Et la situation se répète. Après ça se superpose : les personnes boucs émissaires vont souffrir de la situation, d’autres vont souffrir parce qu’elles sont spectateurs de cette situation, entendent des choses, voient ce qui se passe et en souffrent.… Les personnes qui viennent se plaindre ne veulent pas que cela se sache… Il y a comme une sorte d’omerta qui s’est inscrit dans le code génétique de cette équipe.»

Face à cette situation, l’équipe de direction est intervenue à plusieurs reprises pour réduire les dysfonctionnements détectés et apaiser les tensions. Cependant, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Au quotidien, les collaborateurs entretiennent et subissent le délitement des liens et le mouvement s’amplifie. La situation de travail s’est transformée en un état de mal-être généralisé. Désormais, la trame  relationnelle est tissée de critiques sous-jacentes, de cachotteries à l’encontre des collègues et du manager, d’incivilités dans les dires comme dans les comportements, d’agressivité dans le interactions, de « clans » entretenant une dialectique destructrice « ami/ennemi ».

Quand elle nous sollicite, l’équipe de direction a le sentiment d’avoir tout mis en œuvre pour aider l’équipe. Le besoin du client est triple  :

  • comprendre en profondeur la situation pour voir au-delà impacts apparents affectant les personnes et le collectif,
  • clarifier les mécanismes qui entretiennent et perpétuent l’état de fait,
  • élaborer les axes d’action qui permettront à l’équipe à se réguler.

Notre méthode de travail

Dans une première phase de diagnostic, de façon assez classique, nous avons choisi de procéder à des entretiens individuels semi-directif avec l’équipe de Direction, et avec chaque membre du service concerné et quelques autres personnes appartenant à des services connexes en relation avec le service considéré.

Dans une second temps, pour l’analyse des matériaux obtenus lors des entretiens, nous avons choisi d’adopter un point de vue systémique afin de mieux comprendre la dynamique interne du système-équipe et ses boucles interactionnelles l’enfermant dans une logique de souffrance au travail. Les entretiens nous ont confirmé les symptômes et la souffrance des personne tels que décrits par l’équipe de Direction. En outre, l’analyse de ces entretiens nous permet de détecter les points d’appui encore solides qui permettent à l’équipe de continuer à produire le travail :

engagement sur la réalisation des taches, intérêt porté aux activités qualifiées « d’ouvertes sur « l’extérieur », volonté d’amélioration continue, conscience partagée de bénéficier d’un management qualifié « d’apaisant », clarté des postes et des fonctions, conscience que le collectif est abîmé par la mauvaise qualité des relations. Notre constat est que ces points d’appui constituent des facteurs de protection suffisants  pour que les résultats opérationnels de l’équipe soient au rendez-vous.

Une troisième étape nous amènera à proposer et à animer en partenariat avec le manager un plan d’action pour solliciter et renforcer les capacités de régulation de l’équipe.

Des facteurs de déséquilibre progressifs et multifactoriels

Une analyse en profondeur nous amène à discerner des facteurs dans l’environnement passé et actuel qui influencent la dynamique interne de l’équipe :

  • l’héritage de histoire : l’équipe a connu de la part de deux responsables successifs un management qualifié de « dur » (par exemple, vociférations, humiliations en public lors d’erreurs ou encore instabilité émotionnelle avec réactions imprévisibles). La durée et l’intensité de ces modalités ont été telles que la plupart des membres de cette équipe ont intégré un « modèle » managérial basé sur des relations toxiques. Du coup, les collaborateurs ont progressivement adapté leurs comportements selon le triptyque suivant :
    • ne rien dire sauf pour dire que tout va bien,
    • faire juste ses tâches et ne pas prendre d’initiative pour éviter de se faire humilier publiquement,
    • être « parfait » pour parer aux réactions du manager quitte à reporter la faute sur les autres.

A cette empreinte de l’histoire sur le collectif s’ajoutent d’autres éléments plus récents qui influencent la relation au travail :

  • la mise en place de process et des modes opératoires prédéfinis dans le système d’information de l’entreprise : ils balisent la réalisation des taches et dictent le « faire ». Même si le management travaille beaucoup avec l’équipe pour favoriser le dialogue et la mise en œuvre des « assouplissements » et permettre aux collaborateurs « d’agir » sur le système, leur marge de manœuvre reste restreinte afin d’éviter toute dérive,
  • la réorganisation du service basée sur le principe de « pôles » au sein desquels les personnes travaillent en binômes. Si ce mode organisationnel a l’avantage de favoriser la polyvalence des collaborateurs et la continuité de service, il favorise néanmoins une forme de « dépersonnalisation » dans les réalisations en « diluant » les personne au profit de l’entité « pôle ».

Ces éléments, tout en apportant à l’équipe un cadre de travail contenant, robuste et par là même sécurisant, ont agi sur la qualité des interactions et des comportements.

Le système en recherche d’équilibre

Au fil du temps, la combinaison de ces éléments a produit une qualité d’énergie nourrissant et irriguant tout le système-équipe que nous avons qualifiée d’énergie de « protection-inhibition ». Et plus la combinaison de ces différents facteurs s’est renforcée (comportements et procédés toxiques de la part de deux managers consécutifs + mise en place du SI et de ses adaptations + réorganisation en pôles), plus la production d’énergie « protection-inhibition » s’est intensifiée.

Elle a permis à  l’équipe de s’adapter pour continuer à tenir son rôle au sein de l’organisation même au prix du mal-être et des blessures de certaines de ses composantes. Ainsi, les modalités relationnelles d’adaptation peuvent être décrites de la façon suivante :

  • entre les membres de l’équipe : incivilités, cachoteries, constitution de clans, phénomène de bouc-émissaire,
  • avec le (les) managers : attente de « l’ordre » ou de la « permission » pour faire, expression d’avis ou de suggestions en tête à tête seulement mais jamais devant les autres collègues, adoption de ce que nous appelons le « green behaviour » (= « tout va bien » ; nous n’avons aucun problème ») lorsque le manager est sur place ou qu’un membre de la Direction vient visiter l’équipe,
  • vis-à-vis d’interlocuteurs extérieurs au service : modes relationnels désajustés depuis le ton agressif jusqu’à la disparition des savoir-faire sociaux (ne plus dire bonjour, communication uniquement par email même si les collègues travaillent à cinq mètres de l’open-space principal),
  • vis-à-vis de la relation au travail : emploi du temps de télétravail calculé en fonction de la présence au bureau de telle ou telle personne, arrêts de travail, démission.

Mais au bout de quelque temps, ces modes adaptatifs issus de cette énergie de « protection-inhibition » ne permettaient plus aux divers composantes du système, c’est-à-dire aux membres de l’équipe, d’oser la prise de responsabilité, de s’engager personnellement, de partager avec les autres leur vision du travail, de s’exposer en exprimant une idée, de risquer l’initiative pour procéder aux adaptations nécessaires entre le travail prescrit et le travail réel.

Les comportements adaptatifs d’auto-protection ont ainsi produit leur cortège d’impacts décrits par la Direction et par les personnes que nous rencontrons : insécurité relationnelle, stress, fatigue, déprime et autres symptômes qui amènent certains à consulter médecin et /ou psychothérapeute.

Ainsi la dimension dialogale du travail[2] s’est progressivement affaiblie entre les membres de l’équipe, chacun cherchant d’abord à se protéger. Ce qui caractérise une équipe, à savoir l’adoption des comportements de respect, de bienveillance, de capacité à s’auto réguler en fonction des alea de l’environnement, l’acceptation partagée d’une saine confrontation en cas de désaccord étaient devenues impossibles.

A ce stade, un des apports de la lecture systémique nous a permis de discerner, dans le fonctionnement du système-équipe, ce qui relève des symptômes et ce qui relève des« tentatives de solutions ». L’expression « tentatives de solution » utilisée par les praticiens de la systémique doit être comprise comme des efforts[3] que produit le système (ici l’équipe) pour tenter de se réguler et de conserver son équilibre. Ici, ces tentatives de solutions se traduisent par des comportements «a-sociaux», blessant les personnes et engendrant des symptômes de souffrance et entrainant le délitement collectif.

Vus autrement, les symptômes sont de précieux indicateurs (le « mal-a-dit ») sur le niveau de déséquilibre du système. La tentation est souvent de les supprimer pour que disparaisse enfin le «mal-a-dit ».

C’est ainsi que, lors de notre rencontre avec l’équipe de Direction puis avec les collaborateurs, tous les moyens possibles pour remédier à la situation ont déjà été pris dans différentes directions, par exemple, le changement de manager, la concertation répétée avec l’équipe à plusieurs reprises pour améliorer l’utilisation du SI, l’investissement du manager actuel qui passe du temps avec les collaborateurs allant même jusqu’à faire les opérations avec/à la place de certains, le support et les entretiens apportés par l’infirmière du travail, les entretiens avec le service RH, les conseils du médecin. Ces solutions ont permis de réduire – pour un temps,  les « symptômes[4] » de souffrance au travail (par exemple, crises de larmes au bureau, mutisme durant les journées passées au bureau, incivilités, invectives lancées à la cantonade, cachoteries, plaintes auprès du service RH).

Ces différentes mesures ont été bénéfiques permettant, à la façon de remèdes d’urgence, de réduire l’intensité des souffrances. Mais elles n’ont pas pu produire d’amélioration durable. Car, dans le fond, ces « remèdes-solutions » ne permettaient pas d’orienter le système-équipe vers une transformation de ses modes relationnels et, par là-même, de « production» d’une énergie différente permettant une auto-régulation adéquate.

Ainsi, ces symptômes, pour graves qu’ils soient, ne sont en fait que la manifestation des essais d’adaptation (ou tentatives de solutions) du système-équipe aux nécessités de sa mission et des particularités de son environnement. D’une certaine manière, ils sont utiles car il permettent au système de trouver encore un équilibre pour fonctionner au mieux. En effet, au moment où nous intervenons, le manager nous démontre comment l’équipe est encore en capacité de répondre, pour l’essentiel, aux impératifs de sa mission. Mais elle n’est pas en mesure de « donner plus, de donner ce qu’on attendrait normalement d’une équipe en logistique ». Ce « donner plus », est à entendre, selon lui, comme devant être une réelle capacité d’initiatives entre collègues, d’échanges courtois et sereins, de propositions d’amélioration, de « décloisonnement » vis-à-vis de l’extérieur.

Mais plus les solutions mises en place pour traiter les symptômes visibles ont été appliquées, répétées, renforcées, plus le collectif a cherché à fonctionner selon la nature et la qualité de cette énergie de « protection-inhibition » dans le but de maintenir au mieux son équilibre,  même de façon dégradée. Ces essais d’adaptation ont produit des symptômes de plus en plus toxiques (de la simple remarque « humoristique »  jusqu’aux habitudes d’incivilités, de disparition de savoir-faire sociaux, de phénomènes de clans et de bouc-émissaire).

Ces résultats insatisfaisants ont interrogé la Direction sur ce qu’il faudrait désormais faire en plus. Du côté des collaborateurs, c’est plutôt l’incompréhension, le découragement, voire le désengagement et des attitudes fatalistes (« rien n’y fait, rien ne change ») qui se sont installés. Pour certains collaborateurs c’est une colère sourde et un dépit grandissants qui gangrènent la confiance accordée au manager et à l’équipe de Direction.

Régulation, oui mais dans quel sens ?

Comment donner au système-équipe les moyens qui lui permettront de trouver les voies de sa régulation ?

A ce stade, notre travail a été de proposer à la Direction des axes d’intervention qui poussent dans le sens d’un ré-équilibrage du système et de production d’une énergie adéquate [5].

Concrètement, nous avons proposé des interventions qui puissent opérer comme autant d’impulsions douces mais efficientes permettant d’informer le système sur les adaptations qu’il doit opérer pour trouver ses voies de régulation et ce, à différents niveaux, depuis sa périphérie jusqu’à son centre.

Notre plan d’intervention a cherché à lancer les impulsions d’abord dans un sens centripête  (de la périphérie vers le centre) pour que, petit à petit, le « centre », c’est-à-dire là où s’élabore la vision partagée du travail et le cadre dans lequel on choisit de l’effectuer, soit en mesure de produire une énergie adéquate qui alors, à son tour informera, par un mouvement centrifuge – du centre vers la périphérie, les différents niveaux permettant au système de se réguler et de s’adapter :

  • niveau 1 (la périphérie) : clarifier et reposer le cadre collectif tout en remettant en place les conditions d’exercice des savoir-faire sociaux et de la communication entre les membres de l’équipe (même a minima) et aussi avec les interlocuteurs extérieurs habituels,
  • niveau 2 (niveau intermédiaire) : susciter la prise de conscience de l’équipe qu’elle peut fonctionner différemment pour répondre à ses propres besoins exprimés par ses membres lors d’un atelier collectif : « pouvoir réaliser le travail sereinement », « sans stress», « en toute sécurité », « sans critiques », « sans jugements », « sans moqueries », « avec de l’entraide », « de la bonne humeur », « dans la joie ».
  • niveau 3 (niveau le plus profond) : sécuriser chacun sur sa place dans l’équipe tout en la réunissant sur une vision partagée de ce que doit être le travail en équipe. A partir de là, lui permettre de décider elle-même des savoir-être, des savoir-faire (+ indicateurs associés) conformes à ses besoins et que chacun peut s’engager à respecter et à faire vivre pour tenir sa place et remplir sa mission dans l’organisation.

Il s’agit là d’un travail qui passe par un apprentissage individuel et collectif permettant in fine au système de décider des voies de régulation les plus adéquates en fonction de ses besoins d’adaptation face aux différentes situations de travail. C’est à cette condition que le collectif pourra continuer à atteindre ses résultats tout en étant capable de protéger et de renforcer la qualité de vie et des conditions de travail des membres de l’équipe.

Réinitier la coopération en retissant du lien

A l’heure où nous écrivons ces lignes des interventions ont déjà été menées. Elles font partie d’un plan d’accompagnement et de supervision de l’équipe sur plusieurs mois, concrétisé par des actions à la fois collectives et individuelles.

Puisque le lien entre les personnes de ce collectif est source de souffrance, ce qui produit de la violence, il s’agissait bien de s’occuper de ce lien et des conditions de travail dans lequel se tissent ces liens.

C’est pourquoi nous avons insisté avec les membres de l’équipe pour que les ateliers collectif soient des « espaces-temps » qui permettent non seulement de reconnaître et de partager des perceptions sur les relations entre les membres de l’équipe mais aussi des informations sur les « faits », sur les réalités du travail. Car c’est bien sur ces réalités du travail que se tissent les perceptions de chacun sur sa relation au travail. Et c’est en revenant à la centralité du travail et aux difficultés accueillies, reconnues et acceptées que peuvent se mettre en place des liens différents entre les personnes, basés sur l’acceptation des façons de voir et de penser de l’autre, sur l’exploration des améliorations possibles, l’accueil des idées et des suggestions, l’entraide entre les personnes. Pour nos interventions, il a été accepté que ce faits exprimés, s’ils doivent faire l’objet d’amélioration pourront être réglés ultérieurement, soit au niveau de l’équipe soit à un autre niveau. Par exemple, le constat que l’information circule mal entre l’équipe et des acteurs extérieurs va amener des modifications qui seront décidées ultérieurement dans le cadre institutionnel approprié (par exemple, réunions de Direction).

Quand le système amorce son mouvement de transformation

Depuis la phase des entretiens jusqu’à ce jour, le manager note une ambiance plus détendue, une capacité à plaisanter, parfois à rire ensemble, à partager à plusieurs un moment de détente au « coin café », ce qui n’existait plus, sauf entre membres d’un même « clan ». Les collaborateurs les plus en souffrance continuent leur chemin de rétablissement, aidés, pour certains, par des intervenants extérieurs à la sphère professionnelle. L’ensemble de l’équipe  accepte de « jouer le jeu » et de tout mettre en œuvre « pour que cela aille mieux ».

Ces résultats sont encore fragiles. Néanmoins, ils manifestent que, grâce aux premières actions menées au niveau de sa périphérie, le système est capable d’intégrer les informations données par les premières impulsions. Le travail de consolidation et de suivi prévu dans le plan d’accompagnement va permettre de continuer plus en profondeur et, par impulsions successives, à renseigner le système sur son capacité à produire une qualité et une intensité d’énergie en phase avec sa finalité et ses missions.

Pour une régulation durable

A ce stade de notre réflexion, il nous semble que des résultats durables passent par un certain nombre de facteurs qui permettront à l’équipe et à chacun de ses membres de se maintenir dans une situation alliant performance opérationnelle et qualité de vie au travail  :

  • un engagement appuyé de l’équipe de Direction manifesté par une présence visible et ajustée auprès de l’équipe,
  • une pédagogie entretenue sur la finalité et la place du service dans l’organisation, sur le sens des interventions de l’équipe par rapport aux objectifs de l’usine,
  • des modes d’action ajustés et rapidement mis en œuvre (exemples : mise en place de formations pour chaque membre de l’équipe dans un intervalle de temps restreint, atelier collectif QVCT organisé en un temps record compte tenu des impératifs opérationnels très contraints de cette équipe),
  • une présence accrue du manager sur les lieux où se réalise le travail (obligeant ce manager à « sacrifier » en partie son propre dispositif de télétravail),
  • une attention soutenue de la part du manager aux moindre signal, même si d’intensité faible, émergeant au sein de l’équipe : par exemple, un collaborateur qui vient proposer des améliorations, deux collègues qui s’entraident alors qu’ils ne s’adressaient que rarement la parole). Ces signaux renseignent sur le travail de régulation à l’œuvre qui demande à être soutenu, renforcé,
  • la continuité et le renforcement des modes managériaux déjà installés avant notre intervention : intérêt porté aux personnes, valorisation auprès de chacun de ses points forts, du moindre progrès, exigences sur les résultats et la façon de les obtenir,
  • le renforcement, autant que possible, des facteurs de protection propres à l’équipe dont nous avons déjà parlé,
  • la « bonne volonté » qui, alliée aux compétences, permet de réaliser le « bon travail ».

Conclusion

Il est certain que la dynamique de l’équipe de Direction a apporté aux collaborateurs une démonstration de cohérence et de réel attachement à la Qualité de vie au travail.

Ces qualités ont influencé le système-équipe qui bénéficie déjà de résultats visibles par tous, preuves que des transformations progressives sont à l’œuvre.

Ces résultats agissent à leur tour en transformant imperceptiblement les façons de faire, de se comporter, de se parler et de favoriser la qualité au travail.

Les acteurs peuvent commencer à expérimenter des modes différents « d’être » au travail en équipe. L’ensemble du système se renforce sur ses capacités à trouver les meilleurs voies pour faire du « bon travail » en équipe et en tirer énergie et bien-être pour chacun de ses membres.

 

 

[1] Dans cet article, l’équipe de Direction désigne le Directeur de la Filiale, le manager direct et la responsable des ressources humaines

[2] La dimension dialogale du travail c’est la possibilité pour chacun dans sa relation au travail de disposer d’une marge d’autonomie et de prise de responsabilité pour effectuer les adaptations nécessaires entre le travail prescrit (la procédure, le mode opératoire) et le travail réel.

[3] Ou « tentatives de sortie ».

[4] C’est nous qui qualifions ainsi les interventions et les actions de l’équipe de Direction pour remédier à la situation.

[5] Ce que nous appelons « énergie adéquate » est l’énergie produite par un système en quantité et en qualité suffisantes, énergie ordonnée à ce pour quoi le système existe de manière à pouvoir  répondre à la nature et à la mission de ce système dans l’environnement auquel il appartient.

Par Clotilde Duverger

Contexte d’une mission

Nous avons été sollicités par la direction d’une usine opérant dans le domaine agro-alimentaire. à un moment où une équipe au sein de la logistique traverse une situation très difficile. En effet, plusieurs membres de cette équipe sont profondément perturbé dans leur situation de travail comportements en raison de comportement désajustés voire toxiques subis entre collègues. A plusieurs reprises des collaborateurs se sont plaints auprès du Service de santé au travail et des ressources humaines.

Lors de notre rencontre avec l’équipe de direction[1],  la situation est décrite de la façon suivante : «on a dans ce service des personnes, souvent les mêmes mais pas toujours,  qui vont distiller des remarques sur les autres collaborateurs souvent de façon indirecte. Mais cela revient toujours aux oreilles des uns et des autres ; il y aussi des critiques qui vont créer un climat très défavorable pour la personne [visée]. Celle-ci va se mettre elle-même en retrait, se sentir mise de côté et ça va la faire souffrir. Et la situation se répète. Après ça se superpose : les personnes boucs émissaires vont souffrir de la situation, d’autres vont souffrir parce qu’elles sont spectateurs de cette situation, entendent des choses, voient ce qui se passe et en souffrent.… Les personnes qui viennent se plaindre ne veulent pas que cela se sache… Il y a comme une sorte d’omerta qui s’est inscrit dans le code génétique de cette équipe.»

Face à cette situation, l’équipe de direction est intervenue à plusieurs reprises pour réduire les dysfonctionnements détectés et apaiser les tensions. Cependant, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Au quotidien, les collaborateurs entretiennent et subissent le délitement des liens et le mouvement s’amplifie. La situation de travail s’est transformée en un état de mal-être généralisé. Désormais, la trame  relationnelle est tissée de critiques sous-jacentes, de cachotteries à l’encontre des collègues et du manager, d’incivilités dans les dires comme dans les comportements, d’agressivité dans le interactions, de « clans » entretenant une dialectique destructrice « ami/ennemi ».

Quand elle nous sollicite, l’équipe de direction a le sentiment d’avoir tout mis en œuvre pour aider l’équipe. Le besoin du client est triple  :

  • comprendre en profondeur la situation pour voir au-delà impacts apparents affectant les personnes et le collectif,
  • clarifier les mécanismes qui entretiennent et perpétuent l’état de fait,
  • élaborer les axes d’action qui permettront à l’équipe à se réguler.

Notre méthode de travail

Dans une première phase de diagnostic, de façon assez classique, nous avons choisi de procéder à des entretiens individuels semi-directif avec l’équipe de Direction, et avec chaque membre du service concerné et quelques autres personnes appartenant à des services connexes en relation avec le service considéré.

Dans une second temps, pour l’analyse des matériaux obtenus lors des entretiens, nous avons choisi d’adopter un point de vue systémique afin de mieux comprendre la dynamique interne du système-équipe et ses boucles interactionnelles l’enfermant dans une logique de souffrance au travail. Les entretiens nous ont confirmé les symptômes et la souffrance des personne tels que décrits par l’équipe de Direction. En outre, l’analyse de ces entretiens nous permet de détecter les points d’appui encore solides qui permettent à l’équipe de continuer à produire le travail :

engagement sur la réalisation des taches, intérêt porté aux activités qualifiées « d’ouvertes sur « l’extérieur », volonté d’amélioration continue, conscience partagée de bénéficier d’un management qualifié « d’apaisant », clarté des postes et des fonctions, conscience que le collectif est abîmé par la mauvaise qualité des relations. Notre constat est que ces points d’appui constituent des facteurs de protection suffisants  pour que les résultats opérationnels de l’équipe soient au rendez-vous.

Une troisième étape nous amènera à proposer et à animer en partenariat avec le manager un plan d’action pour solliciter et renforcer les capacités de régulation de l’équipe.

Des facteurs de déséquilibre progressifs et multifactoriels

Une analyse en profondeur nous amène à discerner des facteurs dans l’environnement passé et actuel qui influencent la dynamique interne de l’équipe :

  • l’héritage de histoire : l’équipe a connu de la part de deux responsables successifs un management qualifié de « dur » (par exemple, vociférations, humiliations en public lors d’erreurs ou encore instabilité émotionnelle avec réactions imprévisibles). La durée et l’intensité de ces modalités ont été telles que la plupart des membres de cette équipe ont intégré un « modèle » managérial basé sur des relations toxiques. Du coup, les collaborateurs ont progressivement adapté leurs comportements selon le triptyque suivant :
    • ne rien dire sauf pour dire que tout va bien,
    • faire juste ses tâches et ne pas prendre d’initiative pour éviter de se faire humilier publiquement,
    • être « parfait » pour parer aux réactions du manager quitte à reporter la faute sur les autres.

A cette empreinte de l’histoire sur le collectif s’ajoutent d’autres éléments plus récents qui influencent la relation au travail :

  • la mise en place de process et des modes opératoires prédéfinis dans le système d’information de l’entreprise : ils balisent la réalisation des taches et dictent le « faire ». Même si le management travaille beaucoup avec l’équipe pour favoriser le dialogue et la mise en œuvre des « assouplissements » et permettre aux collaborateurs « d’agir » sur le système, leur marge de manœuvre reste restreinte afin d’éviter toute dérive,
  • la réorganisation du service basée sur le principe de « pôles » au sein desquels les personnes travaillent en binômes. Si ce mode organisationnel a l’avantage de favoriser la polyvalence des collaborateurs et la continuité de service, il favorise néanmoins une forme de « dépersonnalisation » dans les réalisations en « diluant » les personne au profit de l’entité « pôle ».

Ces éléments, tout en apportant à l’équipe un cadre de travail contenant, robuste et par là même sécurisant, ont agi sur la qualité des interactions et des comportements.

Le système en recherche d’équilibre

Au fil du temps, la combinaison de ces éléments a produit une qualité d’énergie nourrissant et irriguant tout le système-équipe que nous avons qualifiée d’énergie de « protection-inhibition ». Et plus la combinaison de ces différents facteurs s’est renforcée (comportements et procédés toxiques de la part de deux managers consécutifs + mise en place du SI et de ses adaptations + réorganisation en pôles), plus la production d’énergie « protection-inhibition » s’est intensifiée.

Elle a permis à  l’équipe de s’adapter pour continuer à tenir son rôle au sein de l’organisation même au prix du mal-être et des blessures de certaines de ses composantes. Ainsi, les modalités relationnelles d’adaptation peuvent être décrites de la façon suivante :

  • entre les membres de l’équipe : incivilités, cachoteries, constitution de clans, phénomène de bouc-émissaire,
  • avec le (les) managers : attente de « l’ordre » ou de la « permission » pour faire, expression d’avis ou de suggestions en tête à tête seulement mais jamais devant les autres collègues, adoption de ce que nous appelons le « green behaviour » (= « tout va bien » ; nous n’avons aucun problème ») lorsque le manager est sur place ou qu’un membre de la Direction vient visiter l’équipe,
  • vis-à-vis d’interlocuteurs extérieurs au service : modes relationnels désajustés depuis le ton agressif jusqu’à la disparition des savoir-faire sociaux (ne plus dire bonjour, communication uniquement par email même si les collègues travaillent à cinq mètres de l’open-space principal),
  • vis-à-vis de la relation au travail : emploi du temps de télétravail calculé en fonction de la présence au bureau de telle ou telle personne, arrêts de travail, démission.

Mais au bout de quelque temps, ces modes adaptatifs issus de cette énergie de « protection-inhibition » ne permettaient plus aux divers composantes du système, c’est-à-dire aux membres de l’équipe, d’oser la prise de responsabilité, de s’engager personnellement, de partager avec les autres leur vision du travail, de s’exposer en exprimant une idée, de risquer l’initiative pour procéder aux adaptations nécessaires entre le travail prescrit et le travail réel.

Les comportements adaptatifs d’auto-protection ont ainsi produit leur cortège d’impacts décrits par la Direction et par les personnes que nous rencontrons : insécurité relationnelle, stress, fatigue, déprime et autres symptômes qui amènent certains à consulter médecin et /ou psychothérapeute.

Ainsi la dimension dialogale du travail[2] s’est progressivement affaiblie entre les membres de l’équipe, chacun cherchant d’abord à se protéger. Ce qui caractérise une équipe, à savoir l’adoption des comportements de respect, de bienveillance, de capacité à s’auto réguler en fonction des alea de l’environnement, l’acceptation partagée d’une saine confrontation en cas de désaccord étaient devenues impossibles.

A ce stade, un des apports de la lecture systémique nous a permis de discerner, dans le fonctionnement du système-équipe, ce qui relève des symptômes et ce qui relève des« tentatives de solutions ». L’expression « tentatives de solution » utilisée par les praticiens de la systémique doit être comprise comme des efforts[3] que produit le système (ici l’équipe) pour tenter de se réguler et de conserver son équilibre. Ici, ces tentatives de solutions se traduisent par des comportements «a-sociaux», blessant les personnes et engendrant des symptômes de souffrance et entrainant le délitement collectif.

Vus autrement, les symptômes sont de précieux indicateurs (le « mal-a-dit ») sur le niveau de déséquilibre du système. La tentation est souvent de les supprimer pour que disparaisse enfin le «mal-a-dit ».

C’est ainsi que, lors de notre rencontre avec l’équipe de Direction puis avec les collaborateurs, tous les moyens possibles pour remédier à la situation ont déjà été pris dans différentes directions, par exemple, le changement de manager, la concertation répétée avec l’équipe à plusieurs reprises pour améliorer l’utilisation du SI, l’investissement du manager actuel qui passe du temps avec les collaborateurs allant même jusqu’à faire les opérations avec/à la place de certains, le support et les entretiens apportés par l’infirmière du travail, les entretiens avec le service RH, les conseils du médecin. Ces solutions ont permis de réduire – pour un temps,  les « symptômes[4] » de souffrance au travail (par exemple, crises de larmes au bureau, mutisme durant les journées passées au bureau, incivilités, invectives lancées à la cantonade, cachoteries, plaintes auprès du service RH).

Ces différentes mesures ont été bénéfiques permettant, à la façon de remèdes d’urgence, de réduire l’intensité des souffrances. Mais elles n’ont pas pu produire d’amélioration durable. Car, dans le fond, ces « remèdes-solutions » ne permettaient pas d’orienter le système-équipe vers une transformation de ses modes relationnels et, par là-même, de « production» d’une énergie différente permettant une auto-régulation adéquate.

Ainsi, ces symptômes, pour graves qu’ils soient, ne sont en fait que la manifestation des essais d’adaptation (ou tentatives de solutions) du système-équipe aux nécessités de sa mission et des particularités de son environnement. D’une certaine manière, ils sont utiles car il permettent au système de trouver encore un équilibre pour fonctionner au mieux. En effet, au moment où nous intervenons, le manager nous démontre comment l’équipe est encore en capacité de répondre, pour l’essentiel, aux impératifs de sa mission. Mais elle n’est pas en mesure de « donner plus, de donner ce qu’on attendrait normalement d’une équipe en logistique ». Ce « donner plus », est à entendre, selon lui, comme devant être une réelle capacité d’initiatives entre collègues, d’échanges courtois et sereins, de propositions d’amélioration, de « décloisonnement » vis-à-vis de l’extérieur.

Mais plus les solutions mises en place pour traiter les symptômes visibles ont été appliquées, répétées, renforcées, plus le collectif a cherché à fonctionner selon la nature et la qualité de cette énergie de « protection-inhibition » dans le but de maintenir au mieux son équilibre,  même de façon dégradée. Ces essais d’adaptation ont produit des symptômes de plus en plus toxiques (de la simple remarque « humoristique »  jusqu’aux habitudes d’incivilités, de disparition de savoir-faire sociaux, de phénomènes de clans et de bouc-émissaire).

Ces résultats insatisfaisants ont interrogé la Direction sur ce qu’il faudrait désormais faire en plus. Du côté des collaborateurs, c’est plutôt l’incompréhension, le découragement, voire le désengagement et des attitudes fatalistes (« rien n’y fait, rien ne change ») qui se sont installés. Pour certains collaborateurs c’est une colère sourde et un dépit grandissants qui gangrènent la confiance accordée au manager et à l’équipe de Direction.

Régulation, oui mais dans quel sens ?

Comment donner au système-équipe les moyens qui lui permettront de trouver les voies de sa régulation ?

A ce stade, notre travail a été de proposer à la Direction des axes d’intervention qui poussent dans le sens d’un ré-équilibrage du système et de production d’une énergie adéquate [5].

Concrètement, nous avons proposé des interventions qui puissent opérer comme autant d’impulsions douces mais efficientes permettant d’informer le système sur les adaptations qu’il doit opérer pour trouver ses voies de régulation et ce, à différents niveaux, depuis sa périphérie jusqu’à son centre.

Notre plan d’intervention a cherché à lancer les impulsions d’abord dans un sens centripête  (de la périphérie vers le centre) pour que, petit à petit, le « centre », c’est-à-dire là où s’élabore la vision partagée du travail et le cadre dans lequel on choisit de l’effectuer, soit en mesure de produire une énergie adéquate qui alors, à son tour informera, par un mouvement centrifuge – du centre vers la périphérie, les différents niveaux permettant au système de se réguler et de s’adapter :

  • niveau 1 (la périphérie) : clarifier et reposer le cadre collectif tout en remettant en place les conditions d’exercice des savoir-faire sociaux et de la communication entre les membres de l’équipe (même a minima) et aussi avec les interlocuteurs extérieurs habituels,
  • niveau 2 (niveau intermédiaire) : susciter la prise de conscience de l’équipe qu’elle peut fonctionner différemment pour répondre à ses propres besoins exprimés par ses membres lors d’un atelier collectif : « pouvoir réaliser le travail sereinement », « sans stress», « en toute sécurité », « sans critiques », « sans jugements », « sans moqueries », « avec de l’entraide », « de la bonne humeur », « dans la joie ».
  • niveau 3 (niveau le plus profond) : sécuriser chacun sur sa place dans l’équipe tout en la réunissant sur une vision partagée de ce que doit être le travail en équipe. A partir de là, lui permettre de décider elle-même des savoir-être, des savoir-faire (+ indicateurs associés) conformes à ses besoins et que chacun peut s’engager à respecter et à faire vivre pour tenir sa place et remplir sa mission dans l’organisation.

Il s’agit là d’un travail qui passe par un apprentissage individuel et collectif permettant in fine au système de décider des voies de régulation les plus adéquates en fonction de ses besoins d’adaptation face aux différentes situations de travail. C’est à cette condition que le collectif pourra continuer à atteindre ses résultats tout en étant capable de protéger et de renforcer la qualité de vie et des conditions de travail des membres de l’équipe.

Réinitier la coopération en retissant du lien

A l’heure où nous écrivons ces lignes des interventions ont déjà été menées. Elles font partie d’un plan d’accompagnement et de supervision de l’équipe sur plusieurs mois, concrétisé par des actions à la fois collectives et individuelles.

Puisque le lien entre les personnes de ce collectif est source de souffrance, ce qui produit de la violence, il s’agissait bien de s’occuper de ce lien et des conditions de travail dans lequel se tissent ces liens.

C’est pourquoi nous avons insisté avec les membres de l’équipe pour que les ateliers collectif soient des « espaces-temps » qui permettent non seulement de reconnaître et de partager des perceptions sur les relations entre les membres de l’équipe mais aussi des informations sur les « faits », sur les réalités du travail. Car c’est bien sur ces réalités du travail que se tissent les perceptions de chacun sur sa relation au travail. Et c’est en revenant à la centralité du travail et aux difficultés accueillies, reconnues et acceptées que peuvent se mettre en place des liens différents entre les personnes, basés sur l’acceptation des façons de voir et de penser de l’autre, sur l’exploration des améliorations possibles, l’accueil des idées et des suggestions, l’entraide entre les personnes. Pour nos interventions, il a été accepté que ce faits exprimés, s’ils doivent faire l’objet d’amélioration pourront être réglés ultérieurement, soit au niveau de l’équipe soit à un autre niveau. Par exemple, le constat que l’information circule mal entre l’équipe et des acteurs extérieurs va amener des modifications qui seront décidées ultérieurement dans le cadre institutionnel approprié (par exemple, réunions de Direction).

Quand le système amorce son mouvement de transformation

Depuis la phase des entretiens jusqu’à ce jour, le manager note une ambiance plus détendue, une capacité à plaisanter, parfois à rire ensemble, à partager à plusieurs un moment de détente au « coin café », ce qui n’existait plus, sauf entre membres d’un même « clan ». Les collaborateurs les plus en souffrance continuent leur chemin de rétablissement, aidés, pour certains, par des intervenants extérieurs à la sphère professionnelle. L’ensemble de l’équipe  accepte de « jouer le jeu » et de tout mettre en œuvre « pour que cela aille mieux ».

Ces résultats sont encore fragiles. Néanmoins, ils manifestent que, grâce aux premières actions menées au niveau de sa périphérie, le système est capable d’intégrer les informations données par les premières impulsions. Le travail de consolidation et de suivi prévu dans le plan d’accompagnement va permettre de continuer plus en profondeur et, par impulsions successives, à renseigner le système sur son capacité à produire une qualité et une intensité d’énergie en phase avec sa finalité et ses missions.

Pour une régulation durable

A ce stade de notre réflexion, il nous semble que des résultats durables passent par un certain nombre de facteurs qui permettront à l’équipe et à chacun de ses membres de se maintenir dans une situation alliant performance opérationnelle et qualité de vie au travail  :

  • un engagement appuyé de l’équipe de Direction manifesté par une présence visible et ajustée auprès de l’équipe,
  • une pédagogie entretenue sur la finalité et la place du service dans l’organisation, sur le sens des interventions de l’équipe par rapport aux objectifs de l’usine,
  • des modes d’action ajustés et rapidement mis en œuvre (exemples : mise en place de formations pour chaque membre de l’équipe dans un intervalle de temps restreint, atelier collectif QVCT organisé en un temps record compte tenu des impératifs opérationnels très contraints de cette équipe),
  • une présence accrue du manager sur les lieux où se réalise le travail (obligeant ce manager à « sacrifier » en partie son propre dispositif de télétravail),
  • une attention soutenue de la part du manager aux moindre signal, même si d’intensité faible, émergeant au sein de l’équipe : par exemple, un collaborateur qui vient proposer des améliorations, deux collègues qui s’entraident alors qu’ils ne s’adressaient que rarement la parole). Ces signaux renseignent sur le travail de régulation à l’œuvre qui demande à être soutenu, renforcé,
  • la continuité et le renforcement des modes managériaux déjà installés avant notre intervention : intérêt porté aux personnes, valorisation auprès de chacun de ses points forts, du moindre progrès, exigences sur les résultats et la façon de les obtenir,
  • le renforcement, autant que possible, des facteurs de protection propres à l’équipe dont nous avons déjà parlé,
  • la « bonne volonté » qui, alliée aux compétences, permet de réaliser le « bon travail ».

Conclusion

Il est certain que la dynamique de l’équipe de Direction a apporté aux collaborateurs une démonstration de cohérence et de réel attachement à la Qualité de vie au travail.

Ces qualités ont influencé le système-équipe qui bénéficie déjà de résultats visibles par tous, preuves que des transformations progressives sont à l’œuvre.

Ces résultats agissent à leur tour en transformant imperceptiblement les façons de faire, de se comporter, de se parler et de favoriser la qualité au travail.

Les acteurs peuvent commencer à expérimenter des modes différents « d’être » au travail en équipe. L’ensemble du système se renforce sur ses capacités à trouver les meilleurs voies pour faire du « bon travail » en équipe et en tirer énergie et bien-être pour chacun de ses membres.

 

 

[1] Dans cet article, l’équipe de Direction désigne le Directeur de la Filiale, le manager direct et la responsable des ressources humaines

[2] La dimension dialogale du travail c’est la possibilité pour chacun dans sa relation au travail de disposer d’une marge d’autonomie et de prise de responsabilité pour effectuer les adaptations nécessaires entre le travail prescrit (la procédure, le mode opératoire) et le travail réel.

[3] Ou « tentatives de sortie ».

[4] C’est nous qui qualifions ainsi les interventions et les actions de l’équipe de Direction pour remédier à la situation.

[5] Ce que nous appelons « énergie adéquate » est l’énergie produite par un système en quantité et en qualité suffisantes, énergie ordonnée à ce pour quoi le système existe de manière à pouvoir  répondre à la nature et à la mission de ce système dans l’environnement auquel il appartient.

Par Clotilde Duverger

Contexte d’une mission

Nous avons été sollicités par la direction d’une usine opérant dans le domaine agro-alimentaire. à un moment où une équipe au sein de la logistique traverse une situation très difficile. En effet, plusieurs membres de cette équipe sont profondément perturbé dans leur situation de travail comportements en raison de comportement désajustés voire toxiques subis entre collègues. A plusieurs reprises des collaborateurs se sont plaints auprès du Service de santé au travail et des ressources humaines.

Lors de notre rencontre avec l’équipe de direction[1],  la situation est décrite de la façon suivante : «on a dans ce service des personnes, souvent les mêmes mais pas toujours,  qui vont distiller des remarques sur les autres collaborateurs souvent de façon indirecte. Mais cela revient toujours aux oreilles des uns et des autres ; il y aussi des critiques qui vont créer un climat très défavorable pour la personne [visée]. Celle-ci va se mettre elle-même en retrait, se sentir mise de côté et ça va la faire souffrir. Et la situation se répète. Après ça se superpose : les personnes boucs émissaires vont souffrir de la situation, d’autres vont souffrir parce qu’elles sont spectateurs de cette situation, entendent des choses, voient ce qui se passe et en souffrent.… Les personnes qui viennent se plaindre ne veulent pas que cela se sache… Il y a comme une sorte d’omerta qui s’est inscrit dans le code génétique de cette équipe.»

Face à cette situation, l’équipe de direction est intervenue à plusieurs reprises pour réduire les dysfonctionnements détectés et apaiser les tensions. Cependant, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Au quotidien, les collaborateurs entretiennent et subissent le délitement des liens et le mouvement s’amplifie. La situation de travail s’est transformée en un état de mal-être généralisé. Désormais, la trame  relationnelle est tissée de critiques sous-jacentes, de cachotteries à l’encontre des collègues et du manager, d’incivilités dans les dires comme dans les comportements, d’agressivité dans le interactions, de « clans » entretenant une dialectique destructrice « ami/ennemi ».

Quand elle nous sollicite, l’équipe de direction a le sentiment d’avoir tout mis en œuvre pour aider l’équipe. Le besoin du client est triple  :

  • comprendre en profondeur la situation pour voir au-delà impacts apparents affectant les personnes et le collectif,
  • clarifier les mécanismes qui entretiennent et perpétuent l’état de fait,
  • élaborer les axes d’action qui permettront à l’équipe à se réguler.

Notre méthode de travail

Dans une première phase de diagnostic, de façon assez classique, nous avons choisi de procéder à des entretiens individuels semi-directif avec l’équipe de Direction, et avec chaque membre du service concerné et quelques autres personnes appartenant à des services connexes en relation avec le service considéré.

Dans une second temps, pour l’analyse des matériaux obtenus lors des entretiens, nous avons choisi d’adopter un point de vue systémique afin de mieux comprendre la dynamique interne du système-équipe et ses boucles interactionnelles l’enfermant dans une logique de souffrance au travail. Les entretiens nous ont confirmé les symptômes et la souffrance des personne tels que décrits par l’équipe de Direction. En outre, l’analyse de ces entretiens nous permet de détecter les points d’appui encore solides qui permettent à l’équipe de continuer à produire le travail :

engagement sur la réalisation des taches, intérêt porté aux activités qualifiées « d’ouvertes sur « l’extérieur », volonté d’amélioration continue, conscience partagée de bénéficier d’un management qualifié « d’apaisant », clarté des postes et des fonctions, conscience que le collectif est abîmé par la mauvaise qualité des relations. Notre constat est que ces points d’appui constituent des facteurs de protection suffisants  pour que les résultats opérationnels de l’équipe soient au rendez-vous.

Une troisième étape nous amènera à proposer et à animer en partenariat avec le manager un plan d’action pour solliciter et renforcer les capacités de régulation de l’équipe.

Des facteurs de déséquilibre progressifs et multifactoriels

Une analyse en profondeur nous amène à discerner des facteurs dans l’environnement passé et actuel qui influencent la dynamique interne de l’équipe :

  • l’héritage de histoire : l’équipe a connu de la part de deux responsables successifs un management qualifié de « dur » (par exemple, vociférations, humiliations en public lors d’erreurs ou encore instabilité émotionnelle avec réactions imprévisibles). La durée et l’intensité de ces modalités ont été telles que la plupart des membres de cette équipe ont intégré un « modèle » managérial basé sur des relations toxiques. Du coup, les collaborateurs ont progressivement adapté leurs comportements selon le triptyque suivant :
    • ne rien dire sauf pour dire que tout va bien,
    • faire juste ses tâches et ne pas prendre d’initiative pour éviter de se faire humilier publiquement,
    • être « parfait » pour parer aux réactions du manager quitte à reporter la faute sur les autres.

A cette empreinte de l’histoire sur le collectif s’ajoutent d’autres éléments plus récents qui influencent la relation au travail :

  • la mise en place de process et des modes opératoires prédéfinis dans le système d’information de l’entreprise : ils balisent la réalisation des taches et dictent le « faire ». Même si le management travaille beaucoup avec l’équipe pour favoriser le dialogue et la mise en œuvre des « assouplissements » et permettre aux collaborateurs « d’agir » sur le système, leur marge de manœuvre reste restreinte afin d’éviter toute dérive,
  • la réorganisation du service basée sur le principe de « pôles » au sein desquels les personnes travaillent en binômes. Si ce mode organisationnel a l’avantage de favoriser la polyvalence des collaborateurs et la continuité de service, il favorise néanmoins une forme de « dépersonnalisation » dans les réalisations en « diluant » les personne au profit de l’entité « pôle ».

Ces éléments, tout en apportant à l’équipe un cadre de travail contenant, robuste et par là même sécurisant, ont agi sur la qualité des interactions et des comportements.

Le système en recherche d’équilibre

Au fil du temps, la combinaison de ces éléments a produit une qualité d’énergie nourrissant et irriguant tout le système-équipe que nous avons qualifiée d’énergie de « protection-inhibition ». Et plus la combinaison de ces différents facteurs s’est renforcée (comportements et procédés toxiques de la part de deux managers consécutifs + mise en place du SI et de ses adaptations + réorganisation en pôles), plus la production d’énergie « protection-inhibition » s’est intensifiée.

Elle a permis à  l’équipe de s’adapter pour continuer à tenir son rôle au sein de l’organisation même au prix du mal-être et des blessures de certaines de ses composantes. Ainsi, les modalités relationnelles d’adaptation peuvent être décrites de la façon suivante :

  • entre les membres de l’équipe : incivilités, cachoteries, constitution de clans, phénomène de bouc-émissaire,
  • avec le (les) managers : attente de « l’ordre » ou de la « permission » pour faire, expression d’avis ou de suggestions en tête à tête seulement mais jamais devant les autres collègues, adoption de ce que nous appelons le « green behaviour » (= « tout va bien » ; nous n’avons aucun problème ») lorsque le manager est sur place ou qu’un membre de la Direction vient visiter l’équipe,
  • vis-à-vis d’interlocuteurs extérieurs au service : modes relationnels désajustés depuis le ton agressif jusqu’à la disparition des savoir-faire sociaux (ne plus dire bonjour, communication uniquement par email même si les collègues travaillent à cinq mètres de l’open-space principal),
  • vis-à-vis de la relation au travail : emploi du temps de télétravail calculé en fonction de la présence au bureau de telle ou telle personne, arrêts de travail, démission.

Mais au bout de quelque temps, ces modes adaptatifs issus de cette énergie de « protection-inhibition » ne permettaient plus aux divers composantes du système, c’est-à-dire aux membres de l’équipe, d’oser la prise de responsabilité, de s’engager personnellement, de partager avec les autres leur vision du travail, de s’exposer en exprimant une idée, de risquer l’initiative pour procéder aux adaptations nécessaires entre le travail prescrit et le travail réel.

Les comportements adaptatifs d’auto-protection ont ainsi produit leur cortège d’impacts décrits par la Direction et par les personnes que nous rencontrons : insécurité relationnelle, stress, fatigue, déprime et autres symptômes qui amènent certains à consulter médecin et /ou psychothérapeute.

Ainsi la dimension dialogale du travail[2] s’est progressivement affaiblie entre les membres de l’équipe, chacun cherchant d’abord à se protéger. Ce qui caractérise une équipe, à savoir l’adoption des comportements de respect, de bienveillance, de capacité à s’auto réguler en fonction des alea de l’environnement, l’acceptation partagée d’une saine confrontation en cas de désaccord étaient devenues impossibles.

A ce stade, un des apports de la lecture systémique nous a permis de discerner, dans le fonctionnement du système-équipe, ce qui relève des symptômes et ce qui relève des« tentatives de solutions ». L’expression « tentatives de solution » utilisée par les praticiens de la systémique doit être comprise comme des efforts[3] que produit le système (ici l’équipe) pour tenter de se réguler et de conserver son équilibre. Ici, ces tentatives de solutions se traduisent par des comportements «a-sociaux», blessant les personnes et engendrant des symptômes de souffrance et entrainant le délitement collectif.

Vus autrement, les symptômes sont de précieux indicateurs (le « mal-a-dit ») sur le niveau de déséquilibre du système. La tentation est souvent de les supprimer pour que disparaisse enfin le «mal-a-dit ».

C’est ainsi que, lors de notre rencontre avec l’équipe de Direction puis avec les collaborateurs, tous les moyens possibles pour remédier à la situation ont déjà été pris dans différentes directions, par exemple, le changement de manager, la concertation répétée avec l’équipe à plusieurs reprises pour améliorer l’utilisation du SI, l’investissement du manager actuel qui passe du temps avec les collaborateurs allant même jusqu’à faire les opérations avec/à la place de certains, le support et les entretiens apportés par l’infirmière du travail, les entretiens avec le service RH, les conseils du médecin. Ces solutions ont permis de réduire – pour un temps,  les « symptômes[4] » de souffrance au travail (par exemple, crises de larmes au bureau, mutisme durant les journées passées au bureau, incivilités, invectives lancées à la cantonade, cachoteries, plaintes auprès du service RH).

Ces différentes mesures ont été bénéfiques permettant, à la façon de remèdes d’urgence, de réduire l’intensité des souffrances. Mais elles n’ont pas pu produire d’amélioration durable. Car, dans le fond, ces « remèdes-solutions » ne permettaient pas d’orienter le système-équipe vers une transformation de ses modes relationnels et, par là-même, de « production» d’une énergie différente permettant une auto-régulation adéquate.

Ainsi, ces symptômes, pour graves qu’ils soient, ne sont en fait que la manifestation des essais d’adaptation (ou tentatives de solutions) du système-équipe aux nécessités de sa mission et des particularités de son environnement. D’une certaine manière, ils sont utiles car il permettent au système de trouver encore un équilibre pour fonctionner au mieux. En effet, au moment où nous intervenons, le manager nous démontre comment l’équipe est encore en capacité de répondre, pour l’essentiel, aux impératifs de sa mission. Mais elle n’est pas en mesure de « donner plus, de donner ce qu’on attendrait normalement d’une équipe en logistique ». Ce « donner plus », est à entendre, selon lui, comme devant être une réelle capacité d’initiatives entre collègues, d’échanges courtois et sereins, de propositions d’amélioration, de « décloisonnement » vis-à-vis de l’extérieur.

Mais plus les solutions mises en place pour traiter les symptômes visibles ont été appliquées, répétées, renforcées, plus le collectif a cherché à fonctionner selon la nature et la qualité de cette énergie de « protection-inhibition » dans le but de maintenir au mieux son équilibre,  même de façon dégradée. Ces essais d’adaptation ont produit des symptômes de plus en plus toxiques (de la simple remarque « humoristique »  jusqu’aux habitudes d’incivilités, de disparition de savoir-faire sociaux, de phénomènes de clans et de bouc-émissaire).

Ces résultats insatisfaisants ont interrogé la Direction sur ce qu’il faudrait désormais faire en plus. Du côté des collaborateurs, c’est plutôt l’incompréhension, le découragement, voire le désengagement et des attitudes fatalistes (« rien n’y fait, rien ne change ») qui se sont installés. Pour certains collaborateurs c’est une colère sourde et un dépit grandissants qui gangrènent la confiance accordée au manager et à l’équipe de Direction.

Régulation, oui mais dans quel sens ?

Comment donner au système-équipe les moyens qui lui permettront de trouver les voies de sa régulation ?

A ce stade, notre travail a été de proposer à la Direction des axes d’intervention qui poussent dans le sens d’un ré-équilibrage du système et de production d’une énergie adéquate [5].

Concrètement, nous avons proposé des interventions qui puissent opérer comme autant d’impulsions douces mais efficientes permettant d’informer le système sur les adaptations qu’il doit opérer pour trouver ses voies de régulation et ce, à différents niveaux, depuis sa périphérie jusqu’à son centre.

Notre plan d’intervention a cherché à lancer les impulsions d’abord dans un sens centripête  (de la périphérie vers le centre) pour que, petit à petit, le « centre », c’est-à-dire là où s’élabore la vision partagée du travail et le cadre dans lequel on choisit de l’effectuer, soit en mesure de produire une énergie adéquate qui alors, à son tour informera, par un mouvement centrifuge – du centre vers la périphérie, les différents niveaux permettant au système de se réguler et de s’adapter :

  • niveau 1 (la périphérie) : clarifier et reposer le cadre collectif tout en remettant en place les conditions d’exercice des savoir-faire sociaux et de la communication entre les membres de l’équipe (même a minima) et aussi avec les interlocuteurs extérieurs habituels,
  • niveau 2 (niveau intermédiaire) : susciter la prise de conscience de l’équipe qu’elle peut fonctionner différemment pour répondre à ses propres besoins exprimés par ses membres lors d’un atelier collectif : « pouvoir réaliser le travail sereinement », « sans stress», « en toute sécurité », « sans critiques », « sans jugements », « sans moqueries », « avec de l’entraide », « de la bonne humeur », « dans la joie ».
  • niveau 3 (niveau le plus profond) : sécuriser chacun sur sa place dans l’équipe tout en la réunissant sur une vision partagée de ce que doit être le travail en équipe. A partir de là, lui permettre de décider elle-même des savoir-être, des savoir-faire (+ indicateurs associés) conformes à ses besoins et que chacun peut s’engager à respecter et à faire vivre pour tenir sa place et remplir sa mission dans l’organisation.

Il s’agit là d’un travail qui passe par un apprentissage individuel et collectif permettant in fine au système de décider des voies de régulation les plus adéquates en fonction de ses besoins d’adaptation face aux différentes situations de travail. C’est à cette condition que le collectif pourra continuer à atteindre ses résultats tout en étant capable de protéger et de renforcer la qualité de vie et des conditions de travail des membres de l’équipe.

Réinitier la coopération en retissant du lien

A l’heure où nous écrivons ces lignes des interventions ont déjà été menées. Elles font partie d’un plan d’accompagnement et de supervision de l’équipe sur plusieurs mois, concrétisé par des actions à la fois collectives et individuelles.

Puisque le lien entre les personnes de ce collectif est source de souffrance, ce qui produit de la violence, il s’agissait bien de s’occuper de ce lien et des conditions de travail dans lequel se tissent ces liens.

C’est pourquoi nous avons insisté avec les membres de l’équipe pour que les ateliers collectif soient des « espaces-temps » qui permettent non seulement de reconnaître et de partager des perceptions sur les relations entre les membres de l’équipe mais aussi des informations sur les « faits », sur les réalités du travail. Car c’est bien sur ces réalités du travail que se tissent les perceptions de chacun sur sa relation au travail. Et c’est en revenant à la centralité du travail et aux difficultés accueillies, reconnues et acceptées que peuvent se mettre en place des liens différents entre les personnes, basés sur l’acceptation des façons de voir et de penser de l’autre, sur l’exploration des améliorations possibles, l’accueil des idées et des suggestions, l’entraide entre les personnes. Pour nos interventions, il a été accepté que ce faits exprimés, s’ils doivent faire l’objet d’amélioration pourront être réglés ultérieurement, soit au niveau de l’équipe soit à un autre niveau. Par exemple, le constat que l’information circule mal entre l’équipe et des acteurs extérieurs va amener des modifications qui seront décidées ultérieurement dans le cadre institutionnel approprié (par exemple, réunions de Direction).

Quand le système amorce son mouvement de transformation

Depuis la phase des entretiens jusqu’à ce jour, le manager note une ambiance plus détendue, une capacité à plaisanter, parfois à rire ensemble, à partager à plusieurs un moment de détente au « coin café », ce qui n’existait plus, sauf entre membres d’un même « clan ». Les collaborateurs les plus en souffrance continuent leur chemin de rétablissement, aidés, pour certains, par des intervenants extérieurs à la sphère professionnelle. L’ensemble de l’équipe  accepte de « jouer le jeu » et de tout mettre en œuvre « pour que cela aille mieux ».

Ces résultats sont encore fragiles. Néanmoins, ils manifestent que, grâce aux premières actions menées au niveau de sa périphérie, le système est capable d’intégrer les informations données par les premières impulsions. Le travail de consolidation et de suivi prévu dans le plan d’accompagnement va permettre de continuer plus en profondeur et, par impulsions successives, à renseigner le système sur son capacité à produire une qualité et une intensité d’énergie en phase avec sa finalité et ses missions.

Pour une régulation durable

A ce stade de notre réflexion, il nous semble que des résultats durables passent par un certain nombre de facteurs qui permettront à l’équipe et à chacun de ses membres de se maintenir dans une situation alliant performance opérationnelle et qualité de vie au travail  :

  • un engagement appuyé de l’équipe de Direction manifesté par une présence visible et ajustée auprès de l’équipe,
  • une pédagogie entretenue sur la finalité et la place du service dans l’organisation, sur le sens des interventions de l’équipe par rapport aux objectifs de l’usine,
  • des modes d’action ajustés et rapidement mis en œuvre (exemples : mise en place de formations pour chaque membre de l’équipe dans un intervalle de temps restreint, atelier collectif QVCT organisé en un temps record compte tenu des impératifs opérationnels très contraints de cette équipe),
  • une présence accrue du manager sur les lieux où se réalise le travail (obligeant ce manager à « sacrifier » en partie son propre dispositif de télétravail),
  • une attention soutenue de la part du manager aux moindre signal, même si d’intensité faible, émergeant au sein de l’équipe : par exemple, un collaborateur qui vient proposer des améliorations, deux collègues qui s’entraident alors qu’ils ne s’adressaient que rarement la parole). Ces signaux renseignent sur le travail de régulation à l’œuvre qui demande à être soutenu, renforcé,
  • la continuité et le renforcement des modes managériaux déjà installés avant notre intervention : intérêt porté aux personnes, valorisation auprès de chacun de ses points forts, du moindre progrès, exigences sur les résultats et la façon de les obtenir,
  • le renforcement, autant que possible, des facteurs de protection propres à l’équipe dont nous avons déjà parlé,
  • la « bonne volonté » qui, alliée aux compétences, permet de réaliser le « bon travail ».

Conclusion

Il est certain que la dynamique de l’équipe de Direction a apporté aux collaborateurs une démonstration de cohérence et de réel attachement à la Qualité de vie au travail.

Ces qualités ont influencé le système-équipe qui bénéficie déjà de résultats visibles par tous, preuves que des transformations progressives sont à l’œuvre.

Ces résultats agissent à leur tour en transformant imperceptiblement les façons de faire, de se comporter, de se parler et de favoriser la qualité au travail.

Les acteurs peuvent commencer à expérimenter des modes différents « d’être » au travail en équipe. L’ensemble du système se renforce sur ses capacités à trouver les meilleurs voies pour faire du « bon travail » en équipe et en tirer énergie et bien-être pour chacun de ses membres.

 

 

[1] Dans cet article, l’équipe de Direction désigne le Directeur de la Filiale, le manager direct et la responsable des ressources humaines

[2] La dimension dialogale du travail c’est la possibilité pour chacun dans sa relation au travail de disposer d’une marge d’autonomie et de prise de responsabilité pour effectuer les adaptations nécessaires entre le travail prescrit (la procédure, le mode opératoire) et le travail réel.

[3] Ou « tentatives de sortie ».

[4] C’est nous qui qualifions ainsi les interventions et les actions de l’équipe de Direction pour remédier à la situation.

[5] Ce que nous appelons « énergie adéquate » est l’énergie produite par un système en quantité et en qualité suffisantes, énergie ordonnée à ce pour quoi le système existe de manière à pouvoir  répondre à la nature et à la mission de ce système dans l’environnement auquel il appartient.