Conflits sociaux : les ingrédients d’une
explosion sont-ils là ?
Par Philippe Darantière
Grèves pour obtenir une amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de travail chez Stellantis, pour des revalorisations salariales et des embauches dans le contrôle aérien, pour des embauches à la SNCF ou dans l’éducation, pour les salaires et un meilleur dialogue social au Crédit Mutuel de Normandie, pour les salaires chez GRDF ou contre les horaires de travail chez les agents du nettoyage de Saint Etienne… La rentrée sociale connait déjà son lot de conflits. Cette situation volatile peut-elle s’amplifier ?
La conflictualité sociale en France a connu une baisse constante depuis dix ans selon le rapport d’étude « Tensions et conflits du travail dans les établissements français depuis les années 2000 » publié par la DARES en septembre 2021. Même si le mouvement des Gilets Jaunes a en partie récupéré les revendications traditionnellement exprimées par les syndicats en matière de pouvoir d’achat, la négociation collective a tenu jusqu’à maintenant ses promesses de résoudre les différends sans conflit.
La réforme des instances représentatives du personnel et de la négociation de 2017 a-t-elle joué un rôle dans ce transfert de la conflictualité vers les acteurs de la société civile ? Après une année de mobilisations syndicales violentes contre la loi Travail en 2016, la mise en place du CSE dans les entreprises annoncée en 2017 a sans doute brouillé les repères de l’action revendicative, puisque toutes les formes de conflits sociaux se sont raréfiées : débrayages, grèves, pétitions, manifestations…
Mais la pesanteur sociale n’a pas disparue, elle s’est seulement déplacée de l’entreprise vers les ronds-points, en changeant de cible : du patron vers l’Etat. Malgré le recours du gouvernement à la rhétorique guerrière, la parenthèse de la crise sanitaire n’a pas permis de retisser les fils de la cohésion sociale. Les autorités ont même fini par sombrer dans une rhétorique de la guerre civile, en opposant les vaccinés aux non-vaccinés que le gouvernement estimait légitime « d‘emmerder ». Enfin, alors qu’en France les campagnes électorales sont une sorte de pugilat non sanglant, la dernière campagne, escamotée par la crise ukrainienne, n’a pas pu remplir sa fonction de catharsis.
Ainsi, comme un mouvement de balancier, la reprise des conflits sociaux cet automne pourrait n’être qu’un retour à des formes d’expression traditionnelles du monde du travail. Si c’est le cas, cela dénote toutefois un échec des mécanismes de régulation qui s’étaient mis en place depuis une dizaine d’année.
Il s’agit d’abord des mécanismes internationaux. Les sanctions économiques, voulues pour enrayer un conflit armé aux portes de l’Europe, pénalisent les habitants des pays qui les pratiquent autant, sinon plus, que ceux qui en sont la cible. Ce sont les citoyens et les entreprises qui paient la hausse des hydrocarbures qui en découle. Il n’est pas sûr qu’ils le supporteront longtemps.
En France, cela se double par une remise en cause de nos mécanismes de régulation sociale habituels. Le « quoi qu’il en coûte » cède brutalement la place à l’annonce de réformes impopulaires (assurance chômage, retraites…) ou à des injonctions anxiogènes (décarbonisation de l’économie, sobriété énergétique des entreprises…), sans que les politiques de réforme précédentes n’aient prouvé leur efficacité (le Grenelle de la santé par exemple). Dans ce contexte, difficile de se convaincre des efforts demandés. La conjonction des facteurs de grogne tant nationaux qu’internationaux multiplie les risques.
Les conflits sociaux naissent généralement de la rencontre d’une insatisfaction partagée et d’un évènement déclencheur. Tous les ingrédients semblent en place aujourd’hui, mais la grève n’est pas une science exacte : il ne suffit pas d’en observer les causes pour la voir surgir. Les prochaines semaines seront déterminantes.
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