par Philippe Darantière

Date : 26 mai 2021

La quatrième mesure de la représentativité syndicale au plan national a consacré la continuité des positions pour un nouveau cycle de quatre ans. Rendus publics le 26 mai 2021, les résultats cumulés des élections du personnel aux CSE, des élections syndicales dans les TPE et des élections aux chambres d’agriculture ont maintenu le classement observé en 2017 : la CFDT est la première organisation syndicale avec 26,77% des suffrages obtenus, suivie par la CGT avec 22,96%, FO se situe à 15,24%, la CFE-CGC obtient 11,92% des suffrages et la CFTC 9,50%. Ces cinq organisations bénéficient jusqu’en 2024 de la capacité à négocier des accords nationaux interprofessionnels.

Le taux de participation des salariés tombe à 38%

Derrière cette apparente stabilité, c’est le taux de participation qui a le plus baissé, avec une érosion de plus de 4,50%. Alors qu’il était en 2017 de 42,76% pour l’ensemble des scrutins concernés, il est tombé à 38,24% en 2020-2021, les élections dans les TPE ayant été reportées en mars 2021 pour cause de crise sanitaire. C’est d’ailleurs dans les TPE que le taux de participation a été le plus mauvais, avec seulement 5,44% de votants : sur 4,8 millions de salariés des TPE, ils n’ont été que 257.000 à voter.          

Dans ce contexte, la CFDT n’a progressé au plan national que de +0,4% par rapport à 2017, mais avec un nombre de suffrages en baisse du fait de l’érosion globale du taux de participation, perdant plus de 39.000 électeurs. C’est pire pour la CGT, qui a perdu près de 2 points mais plus de 150.000 électeurs. FO a gagné + 0,35% mais a perdu plus de 50.000 électeurs. La CFTC a sauvé sa représentativité nationale en gagnant 0,02% par rapport à 2017, mais a perdu plus de 20.000 suffrages dans la même période. Seule la CFE-CGC enregistre une progression nette sur tous les plans : elle a gagné 1,25 point de représentativité et plus de 38.000 électeurs.

Le seuil de la représentativité nationale étant fixé à 8% des suffrages obtenus dans les secteurs de l’industrie, du commerce, des services et du BTP, les autres organisations de l’échiquier syndical devront se contenter de la représentativité dans les branches où elles l’ont obtenue. Toutefois, au plan national l’UNSA a progressé de +0,64% et se situe à 5,99%, avec plus de 18.000 voix gagnées. Les syndicats SUD de l’Union syndicale solidaires ont progressé de +0,35%, avec 3,68% des suffrages et un petit gain de 3000 voix.

La révolution des élections de 2022 dans la fonction publique

En décembre 2022, les élections de la fonction publique seront l’occasion d’une autre importante mesure de la représentativité syndicale. Elles auront lieu dans un contexte de transformation complète des instances représentatives des fonctionnaires et de refonte des règles du dialogue social. Les Commission administratives paritaires, qui justifiaient souvent l’adhésion des fonctionnaires à un syndicat par leur rôle consultatif pour les promotions et les mutations, seront recentrées sur un rôle de « cour d’appel » des décisions prises lorsque celles-ci seront défavorables aux agents. Leur mission dans les procédures disciplinaires est également modifiée. Les Comités techniques et les Comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail seront fusionnés en une seule instance : le Comité social d’administration, de territoire ou d’établissement selon les différentes fonctions publiques (d’état, territoriale ou hospitalière). Enfin, un nouveau droit à la négociation d’accords locaux a été établi, tenant compte de la représentativité syndicale du terrain, et non plus seulement nationale.

Toutes ces transformations auront sans nul doute un impact sur le comportement des électeurs. Misant sur une « prime » aux syndicats favorables à la négociation plutôt qu’au conflit, les pouvoirs publics attendent de cette prochaine mesure de la représentativité syndicale qu’elle renforce le mouvement de bascule qui s’est opéré en 2017 dans le privé, lorsque la CGT a été détrônée par la CFDT de sa place de première organisation syndicale française.

Le fractionnement du corps social se poursuit

Lorsque l’on scrute les chiffres, toutefois, on constate que la victoire de la CFDT sur la CGT ne tient pas à la progression de la première mais à la baisse continue de la seconde. Quant au sur-place de FO ou de la CFTC, ils n’indiquent pas grand-chose d’autre que l’inertie du corps social français, où les positions clivantes ne sont plus assumées par des organisations syndicales institutionnalisées, mais par des organisations non confédérées comme les syndicats Sud, les Syndicats anti-précarité, ou encore par des mouvements sociaux non structurés : collectifs catégoriels dans les hôpitaux, mouvements écologistes, féministes, racialistes ou indigénistes… Seule la progression de la CFE-CGC est significative : elle sanctionne la tertiarisation de l’économie française, où dans de nombreuses entreprises les classifications d’ouvriers et d’employés n’existent plus, l’embauche se faisant au statut de technicien ou de cadre. Mais cette évolution sociologique ne suffit pas à enrayer le déclin des syndicats français. En 2016 déjà, notre pays se situait parmi les trois derniers pays industrialisés avec un taux de syndicalisation de 7,7% selon l’OCDE, contre 17,7% en Allemagne, 25,4% en Grande-Bretagne ou 55% en Belgique. Or l’histoire nous l’apprend : la disparition des corps intermédiaires n’est jamais une bonne nouvelle, tant il est vrai que, lorsqu’on néglige le collectif, le collectif se venge, comme l’a démontré la crise des Gilets jaunes.