Par Cyprien Hachard

date : 21/06/2021

Une nouvelle réforme du monde de la santé au travail a été initiée par un Accord National Interprofessionnel (ANI) du 10 décembre 2020. Les dispositions de cet accord ont été reprises dans un projet de loi « pour renforcer la prévention en santé au travail » actuellement en cours de discussion au parlement.  Les objectifs principaux visés par l’ANI sur la santé au travail sont de rendre le système plus adapté aux nouvelles pathologies présentes au travail et de faire primer une politique de prévention primaire sur la politique traditionnelle de réparation.

 

Les nouveautés apportées par la réforme

L’ANI et le projet de loi insistent sur le fait que le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) doit contenir l’exposé complet de l’ensemble des risques auxquels sont soumis les travailleurs de l’entreprise, intégrant donc les Risques Psycho-Sociaux (RPS), et que ses versions successives devront être conservées dans le temps pour garantir sa traçabilité. Pour les RPS, le directeur de l’ANACT conseille d’ailleurs aux entreprises d’évaluer les risques psychosociaux en appréhendant les situations de travail dans l’entreprise et non plus uniquement les facteurs de risques.

Pour l’ensemble des risques, on devra pouvoir identifier dans le DUERP les ressources de l’entreprise en matière de prévention pour démontrer l’existence d’un plan d’action associé à l’évaluation.

La création d’un « passeport prévention » individuel permettra ensuite de compiler les formations suivies par les salariés en matière de sécurité et de s’assurer de la réalisation par le salarié d’un module commun et d’un module spécifique en fonction de la branche professionnelle. Le projet de loi prévoit qu’il sera géré par l’employeur et que ses modalités de mise en œuvre seront déterminées par le Comité national de prévention et de santé au travail, approuvé par voie réglementaire.

Une des mesures phares de la réforme concerne la prévention de la désinsertion professionnelle, et consistera à créer des cellules locales d’acteurs médicaux en lien avec les services de santé au travail,  pour constituer un maillage d’intervenants possibles et ainsi éviter l’isolement des salariés en longue maladie. De plus, l’instauration d’un entretien de mi-carrière permettra d’identifier et d’accompagner les salariés à risques.

Concernant la qualité de vie au travail (QVT), l’ANI veut en apporter une vision collective et intégrée de la santé au travail. La qualité de vie au travail et la qualité des conditions de travail participent à la prévention primaire. L’ANI utilise le terme de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), pour renforcer le lien avec la santé au travail. Il préconise l’adoption d’une méthode, non normée, mais fondée sur l’expérimentation propre à chaque entreprise, consistant à établir un diagnostic de l’état de l’entreprise pour prioriser les mesures de QVT.

 

Le nouveau rôle des acteurs de la santé au travail

L’objectif de la réforme est notamment de renforcer la place des partenaires sociaux et d’impulser une logique de proximité, tout en conservant le mécanisme institutionnel.

Les services de santé au travail deviendront ainsi les Service de prévention et de santé au travail (SPST) afin de mettre la prévention au cœur du système. Ils devront proposer une offre socle :

  • L’accompagnement pour la prévention des risques professionnels (le DU etc.).
  • L’accompagnement pour le suivi individuel des salariés.
  • Des actions pour la prévention de la désinsertion professionnelle, notamment au travers des cellules de suivi local, dont le but est de « faire réseau » pour mettre un maximum de compétences au service du maintien dans l’emploi des salariés.

L’offre de service fera l’objet d’une certification par un organisme tiers pour garantir un service homogène sur tout le territoire.

La réforme prévoit également une collaboration entre les médecins du travail et les autres praticiens afin de renforcer les compétences disponibles dans les zones en pénurie de médecin du travail. La volonté de prendre soin du salarié dans son entièreté, malgré le manque de médecins, a été rappelée.

Dans cette logique, avec le consentement du salarié, son dossier médical personnel pourra être partagé par le médecin du travail et les infirmiers. Mais les limites fixées impliquent que le salarié est libre de l’ouverture et du contenu de ce dossier partagé. Il subsiste aussi une inconnue sur l’accès à ce dossier donné par la loi aux autres professionnels de santé au travail.

Enfin, il est prévu de renforcer la gouvernance paritaire des organismes de santé au travail avec la mise en place d’un poste de vice-président réservé aux représentants des salariés (le poste de président est attribué à la partie employeur).

A la suite du juge, le législateur met l’accent sur la prévention

Dans les entreprises, l’employeur est invité à revoir son approche de la prévention, pour mettre en œuvre en priorité le traitement des « signaux faibles » d’apparition de risques professionnels, par une démarche de prévention primaire, rendue particulièrement nécessaire dans le contexte actuel de pandémie. Il lui est d’ailleurs recommandé d’y associer les partenaires sociaux pour l’aider dans la définition et l’exécution de cette politique de prévention de terrain.  

A la suite des partenaires sociaux, le législateur prend acte du renforcement nécessaire du dispositif encadrant les risques professionnels. La prise en charge des aléas de santé dus au travail est entrée dans la loi au XIXème siècle en consacrant le régime de la réparation financière. C’est depuis le début du XXIème siècle que l’inversion de cette règle s’impose peu à peu. En sacralisant dorénavant la prévention sur la réparation, la France se met enfin au standard des pays européens les plus en pointe sur ce sujet. Il reste encore du chemin à parcourir pour faire des directions et des CSE de véritables acteurs de prévention des risques.